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Le Blog de l'Esterel
1 mai 2009

Eva Joly & Télérama : bannir les paradis fiscaux d’Europe

LE MONDE BOUGE - Tête de liste des Verts aux européennes, la Norvégienne Eva Joly sort un livre… qui n’a rien à voir avec l’écologie. Car la magistrate qui a révélé l’affaire Elf en France, réquisitionnée par l’Islande pour enquêter sur les malversations financières qui l’ont conduit au bord de la faillite, se mobilise plus que jamais contre les réseaux véreux de la finance internationale. Seconde partie de l’incroyable entretien qu’elle nous a accordé : comment une vraie lutte contre les paradis fiscaux est essentielle et possible.

En France, Eva Joly est la femme par qui le plus important scandale politico-financier est arrivé. L’affaire Elf aura été l’acmé de sa carrière de magistrate et le point de départ d’un combat opiniâtre contre la corruption internationale. Infatigable, elle revient aujourd’hui sur tous les fronts. Au côté du gouvernement islandais pour essayer de comprendre comment ce pays a été balayé par la crise financière. Au côté de Daniel Cohn-Bendit comme candidate sur la liste Europe Ecologie pour les prochaines européennes. Avec un livre, Des héros ordinaires (Les Arènes), dans lequel elle dresse le portrait de quelques personnalités courageuses en lutte contre la corruption et les paradis fiscaux. Des thèmes brûlants d’actualité qu’Eva Joly connaît bien et sur lesquels elle livre une analyse qui ne s’embarrasse pas de circonvolutions. Suite et fin de l’entretien qu’elle nous a accordé.

Télérama : Quel jugement portez-vous sur les mesures prises contre les paradis fiscaux (1) par le G20 ?
Eva Joly : Il n’y a pas de volonté politique suffisante pour en finir avec les paradis fiscaux. Partout les liens sont très forts entre le pouvoir et le capital. Barack Obama ne fait pas exception. Personne ne peut se fait élire président des Etats-Unis sans l’appui de Wall Street. Les plus gros donateurs de sa campagne s’appellent Goldman Sachs, UBS, J.P. Morgan, Chase et Citigroup. Tous des géants de la finance. En Europe, Angela Merkel était très offensive contre les paradis fiscaux, mais son propre secrétaire d’Etat à l’Economie, Axel Nawrath, m’avait un jour confié : « Madame Joly, l’Europe ne fera jamais rien contre les paradis fiscaux. Au cœur de l’Europe, nous avons le Luxembourg et la City de Londres. Et vous croyez que les Anglais ou les Luxembourgeois accepteront qu’on réforme un système dont ils sont les premiers bénéficiaires ? »

“Qui sait que l’île Maurice, un million d’habitants,
réalise à elle seule 57 % des
investissements étrangers en Inde ?”

L’annonce de la fin du secret bancaire et la publication par l’OCDE de listes de pays « non coopératifs » ne constituent donc pas, à vos yeux, une avancée ?
Seuls les particuliers seront touchés par ces mesures, et encore, ceux qui ne sont pas astucieux. Les autres se cacheront derrière des sociétés fictives ou des trusts [NDLR : entités juridiques permettant de dissimuler les véritables propriétaires]. En effet, on ne va pas toucher aux structures car elles sont utilisées par les multinationales. Quant aux listes noires et grises de l’OCDE, elles existent depuis dix ans et ont beaucoup varié avec le temps sans jamais empêcher la croissance des paradis fiscaux.
Ces listes sont en plus le fruit de compromis entre Etats, et de nombreux paradis fiscaux y échappent. Prenez l’île Maurice, elle n’est présente sur aucune liste alors que c’est un très grand paradis fiscal. Qui sait que cette île de un million d’habitants réalise à elle seule 57 % des investissements étrangers en Inde, alors qu’il n’y a d’autres activités que des sociétés fictives gérées par 150 individus ? Neuf de ces individus se retrouvent même à eux seuls derrière 1 500 sociétés dont ils sont à la fois gestionnaires et membres du conseil d’administration. Qui peut croire que cela a une réalité économique ? Personne.

Comment les multinationales se servent-elles, concrètement, des paradis fiscaux ?
La technique la plus répandue est celle des prix de transfert, qui permet aux entreprises de maquiller leurs comptes pour payer moins d’impôts dans les pays où elles sont implantées. Le système est simple. Une société vend son produit, par exemple du minerai, à un prix délibérément sous-estimé à une filiale installée dans un centre offshore. La filiale revend le même minerai, cette fois-ci au prix fort. Quand la société publie ses comptes dans le pays où se trouve la mine qu’elle exploite, elle affiche des résultats modestes sur place, qui limitent les impôts dont elle doit s’acquitter. Ses vrais profits sont ailleurs. Grâce à ce subterfuge, l’entreprise américaine Exxon n’a ainsi pas payé d’impôts pendant vingt-six ans au Chili sur les mines de cuivre acquises lors des privatisations par le régime Pinochet. Quand Exxon a revendu la mine, elle a touché plus de 1,8 milliard de dollars. La mine était donc très rentable ! Mais au Chili, pas un contribuable n’a vu passer les profits sur le cuivre. Quand vous savez que l’OCDE estime qu’environ 60 % des échanges internationaux sont réalisés par des multinationales qui achètent et vendent à leurs propres filiales et succursales, imaginez l’ampleur des manipulations possibles.   

“On sait  que Total a gagné près
de 13 milliards d’euros
l’année dernière, mais on ignore où…”

Qu’aurait du faire les dirigeants du G20 pour lutter efficacement contre les paradis fiscaux ?
Ils auraient dû au moins interdire aux banques bénéficiant de fonds publics de posséder des filiales dans les paradis fiscaux. Ils n’ont pas osé prendre ce risque car la moitié des transactions bancaires mondiales passent par les paradis fiscaux ! Ils auraient également pu rendre automatique et obligatoire, dans le monde entier, l’échange d’informations fiscales entre les pays. C’est un système que l’Union européenne a instauré depuis l’été 2003 avec la directive sur la taxation des revenus de l’épargne. Chaque Etat membre est tenu de déclarer une fois par an les intérêts touchés dans leur pays par des ressortissants européens disposant de comptes chez eux. La France informe par exemple chaque année le fisc allemand des intérêts touchés par des Allemands qui ont ouvert des comptes sur son sol. Et inversement. C’est un outil précieux pour éviter l’évasion fiscale entre pays membres de l’Union européenne, et, comme par hasard, la Belgique, le Luxembourg et l’Autriche, ont négocié un régime dérogatoire à ce système. 
Ils auraient également pu imposer aux multinationales de publier leurs bénéfices pays par pays. C’est une mesure simple, qui ne coûte rien et qu’on pourrait introduire immédiatement. Actuellement, les entreprises ne publient que des comptes consolidés. Du coup, on sait par exemple que Total a gagné près de 13 milliards d’euros l’année dernière, mais on ignore où. Si ces informations étaient publiées en annexe des comptes, on verrait alors qu’elle réalise d’importants bénéfices à l’Ile Maurice et aux Bermudes et très peu en Algérie ou en Angola. Vous le voyez, ce ne sont pas les mesures efficaces qui manquent, juste la volonté politique de les décider, de les mettre en place et de créer un système de sanctions pour rendre obligatoire leur application.

L’Europe a-t-elle vocation à être en pointe dans cette lutte ?
Je ne sais pas si « elle a » mais il faudrait qu’« elle ait » vocation. Nous devrions bannir les paradis fiscaux de notre continent en imposant leur boycott absolu par les banques et les entreprises européennes. C’est ma position, et c’est l’une des raisons pour lesquelles je me présente aux européennes. Comme citoyenne, j’ai épuisé toutes les possibilités dans ce combat. Il faut maintenant qu’il devienne un enjeu politique, un enjeu de société.

Comment, très concrètrement, un citoyen lambda peut-il lutter contre les paradis fiscaux ? En faisant pression sur son gouvernement, en boycotant les banques et les entreprises qui les utilisent ?   
On peut adhérer à des ONG comme Transparency International ou Tax Justice Network. On ne peut pas en revanche boycotter les grandes entreprises cotées en Bourse, ou alors il faudrait les boycotter toutes. Aux Etats-Unis comme en France, presque toutes ces grandes entreprises ont des filiales dans les paradis fiscaux. Même en Norvège, nous avons une société nationale qui est allée se faire défiscaliser en Belgique. C’est hallucinant ! Quant à Lehman Brothers, qui est à l’origine de la crise des subprimes, elle possédait cent quarante et une filiales dont cinquante-sept dans les paradis fiscaux.

Propos recueillis par Olivier Milot

(1) Pays ou territoires alliant souvent le secret bancaire à une fiscalité basse ou nulle.

A lire
Des héros ordinaires,
d'Eva Joly, éd. Les Arènes, 192 p., 19 €.

http://www.telerama.fr/monde/eva-joly-ii,41639.php


Eva Joly est signataire de l'appel :
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