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Le Blog de l'Esterel
12 juin 2011

Au boulot depuis deux mois, ma vie sociale ne se réveille pas

« La solitude au travail vaut celle au chômage. »
Réponse d'un riverain, qui a retrouvé du travail, à une autre sans emploi.

A Rue89 (Rue89).

Chère Novalie, tu as écrit »Chômeuse depuis six mois, ma vie sociale s'éteint ». Comme toi, j'ai vécu six mois au chômage. Je me suis senti seul et désespéré, honteux de confondre les lundis avec les dimanches, gêné de dépenser mon allocation de retour à l'emploi en Mojitos en début de mois et en bière en fin de mois, pour oublier les longues journées passées à envoyer des CV comme un naufragé balance des bouteilles à la mer.

Moi aussi tu sais, j'ai perdu mon temps à surfer sur Facebook, j'ai « poké » des gens, « liké » des statuts, posté des liens musicaux, commenté les photos de vacances en Grèce d'une fille que je n'ai pas vue depuis trois ans, juste parce que je n'avais rien d'autre à faire.

Moi aussi, je me suis senti soudain inutile en écoutant mes amis parler de leur boulot avec la fierté de ceux qui ont une fonction sociale, pendant que de mon coté, je réalisais que tout ce que j'avais fait de ma journée, c'était enfiler un pantalon.

9 heures, open-space, lumière jaune, je m'assois

C'est vrai, le chômage n'est pas une sinécure. Il nous ramollit, nous coupe du monde, nous désociabilise. Mais attention jeune fille, croire qu'un travail pourra réveiller ta vie sociale est un leurre. Du moins, il n'y a rien d'automatique là-dedans.

Je m'en rends compte maintenant. Cela fait deux mois que j'ai retrouvé du boulot. Un poste de juriste dans une très grande entreprise française. Autant te dire qu'au début, j'étais heureux de passer en un seul coup de téléphone du statut du jeune chômeur (presque un pléonasme) à celui de jeune cadre dynamique (presque un oxymore). Mais très vite, j'ai compris qu'excepté au niveau financier, rien n'allait s'arranger.

Tous les jours c'est la même chose : 9 heures du matin, un open-space, une lumière jaune, je m'assois devant mon ordinateur. En face de moi, un juriste, homme d'une cinquantaine d'années, drôle comme un film de Michael Haneke, ouvert aux gens comme le régime syrien aux réformes démocratiques.

Il ne m'adresse jamais la parole. Sans doute n'a-t-il pas le temps, vu la pile de dossiers sur la table. J'essaie tout de même de lui parler foot ou beau temps, mais il ne prend pas la peine de me répondre. Je comprends très vite que ce n'est pas la peine d'insister. Il n'a pas que ça à faire.

12h30, seul face à mon sandwich triangle poulet-crudités

Je reporte donc mes espoirs sur les deux femmes qui se situent à ma gauche. La première a affiché sur le coté de son ordinateur des dessins de son fils de 5 ans (qui s'appelle Matisse, ça ne trompe pas), l'autre a accroché la photo de ses trois enfants. Elles se parlent souvent, de dossiers évidemment, mais aussi de leurs progénitures (sieste, crèche, etc.).

J'aimerais trouver un sujet permettant d'attirer leur attention, mais je ne vois pas comment faire. Alors je me tais, et je bosse sur mes dossiers en silence. Vers 12h30, pause déjeuner : personne ne me convie, chacun mange dans son coin. Je me retrouve seul face à mon sandwich triangle poulet-crudités.

Compter mes heures, j'ai l'impression de ne faire que ça

Autour de moi, c'est la même chose, de nombreuses personnes mangent seules à leur table. Leurs visages sont fermés, et certaines d'entre elles doivent être là depuis des années. Je me demande comment elles peuvent accepter ce manque d'humanité qu'elles subissent au quotidien.

Je retourne donc rapidement dans mon bureau, dans un silence que seul le bruit des claviers et des sonneries téléphoniques parvient à briser. L'après-midi est long, très long. Il dure souvent jusqu'à 20 heures ou 20h30, juste parce qu'un petit génie du droit du travail a inventé le paiement au forfait, pour que je n'aie pas à compter mes heures. J'ai pourtant l'impression de ne faire que ça : compter mes heures.

Elles passent doucement. A aucun instant, l'un de mes trois collègues de travail du plateau ne m'adresse la parole. Sûrement trop de boulot pour que l'on se permette de parler foot, DSK ou concombres tueurs. Moi qui fonctionne à l'affect, ça me pèse et je me sens déshumanisé, mal dans ma peau.

Le soir, je rentre chez moi fatigué, vidé de ne n'avoir rien dit

Car au final, le seul lien social que j'ai entretenu jusqu'à présent grâce au travail, c'est avec Jean-Marc. L'un de nos fournisseurs, qui ne peut s'empêcher de me répondre tous les lundis que ça va « comme un lundi ». Mais le soir, je rentre chez moi fatigué, vidé de ne n'avoir rien dit, de n'avoir rien échangé.

Alors tu vois, jeune fille au chômage, ne crois pas que le fait de trouver un travail va te re-sociabiliser. Bien sûr, ce que je viens de te raconter n'est pas une fatalité, il y a certainement des endroits où les liens professionnels sont empreints d'une plus grande humanité.

C'est ce que je te souhaite de trouver d'ailleurs, mais je voulais que tu saches également qu'il existe certaines entreprises où la solitude du travail équivaut largement à la solitude du chômage.

Photo : à Rue89 (Rue89).

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