Mai 68
http://www.radiofrance.fr/franceinter/ev/fiche.php?ev_id=340
http://www.liberation.fr/dossiers/mai1968/
http://www.mediapart.fr/journal/culture-idees/210308/l-histoire-de-la-prise-de-la-salle-du-conseil
http://www.myspace.com/revivalmai68
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Télérama.fr - samedi 1 mars 2008
Mai 68 a fait couler beaucoup d'encre. Quarante ans après, des chercheurs offrent pourtant sur les événements un nouveau regard. Plus objectif ?
Il
s'est passé quelque chose en 1968, vers mai-juin. Un peu avant aussi et
beaucoup après. Sur ce point, tout le monde est d'accord. Et la chose
en question doit avoir son importance pour avoir déclenché depuis
quarante ans autant d'émerveillement que de hargne, autant d'éloges que
d'indignités, fort peu de tiédeur en tout cas. Mais que s'est-il passé
au juste ? Une révolution ? Un mouvement social ? La révolte d'une
jeunesse contre les carcans autoritaires ? Une libération sexuelle ? Le
triomphe de l'individualisme ? Un changement d'air et d'ère politique
?... Tant d'interprétations, de commentaires, d'idées générales ni
vraies ni fausses, d'essais, d'albums photo, de numéros spéciaux dans
la presse (y compris à Télérama, qui publiera un hors-série en avril) ont fait de 68 un gigantesque « événement de papier »,
comme dit l'historien Philippe Artières. Mais, quarante ans plus tard,
peut-être le temps de l'histoire est-il venu, celui du recul et de
l'étude.
Longtemps considéré à l'université comme un sujet sulfureux ou porté
par des chercheurs militants, Mai 68 pourrait bien trouver ses lettres
de noblesse, notamment grâce à l'ouverture des archives après le délai
légal de trente ans. En effet, deux ouvrages collectifs surnagent dans
cette actualité éditoriale « spécial Mai » : du côté des sciences
sociales et politiques, Mai-Juin 68, dirigé
par Dominique Damamme, Boris Gobille, Frédérique Matonti et Bernard
Pudal, aux éditions de l'Atelier ; du côté de l'histoire, 68, Une histoire collective (1962-1981), dirigé par Philippe Artières et Michelle Zancarini-Fournel, à La Découverte.
« Il serait stupide de disqualifier le regard des témoins, mais il est bon aussi d'étudier Mai 68 sans avoir de comptes à régler. »
Le premier est davantage un état de la recherche ; le second, un
vrai livre d'histoire ouvert également sur les événements
internationaux, les objets culturels, les portraits d'acteurs oubliés,
et construit pour un public large. Mais les deux ouvrages ont des
points communs : considérer Mai-Juin 68 dans une époque (1962-1981 pour
les historiens, 1945-1975 pour les sociologues), avoir été conçus et
écrits « dans l'intergénérations », autrement dit avec –
naturelle pyramide des âges oblige – une bonne proportion d'auteurs
trop jeunes pour avoir été acteurs de 68. « Il serait stupide de disqualifier par principe le regard des témoins et acteurs, confie Boris Gobille, 35 ans, chercheur en sciences politiques, qui travaille sur le sujet depuis quinze ans, mais
il est bon aussi de l'étudier sans avoir de comptes à régler : je n'ai
ni à faire oublier que j'ai été gauchiste, ni non plus à me rattraper
sur un événement à côté duquel je serais passé. » Même son de cloche chez Philippe Artières, né en mai 1968 : «
Mai 68 m'a donné envie d'être historien, de même que la Commune a
suscité beaucoup de vocations. L'histoire que je pratique, toutes les
méthodes historiques actuelles sont issues de cette époque. Mais les
historiens qui ont vécu 68 répugnent à s'en faire une spécialité parce
qu'ils craignent de faire une histoire d'ancien combattant. J'ai été
l'élève de Michelle Perrot, à qui l'on doit les premiers travaux sur 68
[sur les ouvriers et sur la Sorbonne, NDLR] ; elle ne m'en a jamais parlé. »
Etudier Mai 68, c'est aussi ressentir ce « manque du manque »
que l'historien Christophe Prochasson (1) repère comme caractéristique
du travail historique sur l'époque contemporaine : le trop-plein, trop
de documents, trop de témoignages, trop de mémoires où se rejouent les
affrontements d'hier... Dans le cas de Mai 68, ce « trop » est
particulièrement « trop ». « Pour la guerre d'Algérie ou pour Vichy, c'était le silence qui faisait écran, analyse Boris Gobille, pour Mai 68, c'est la logorrhée. » « Il s'agit donc, affirme l'historienne Michelle Zancarini-Fournel, une des pionnières sur ce sujet, de
dépasser cette gangue d'interprétations générales tout en considérant
que ces lectures mémorielles font désormais partie de l'Histoire. »
Dès 1978, Serge July, oubliant la radicalité de ses engagements maoïstes, avance le mot de « libéral-libertaire ».
Les « lectures mémorielles » en question sont surtout
celles, construites par certains des acteurs eux-mêmes dès les années
70, qui consistent à ne voir dans Mai 68 que le prurit révolutionnaire
d'une jeunesse plutôt dorée contre ses pères, ou la révolte des Trente
Glorieuses contre la société bloquée d'un gaullisme finissant ; bref,
un grand vent d'irrespect joyeux d'individus jouisseurs. Dès 1978,
Serge July, oubliant la radicalité de ses engagements maoïstes, avance
le mot de « libéral-libertaire » dans une interview donnée à la revue Esprit. Le mot fera florès. En 1987, sort au Seuil la première histoire de 68, Génération,
d'Hervé Hamon et Patrick Rotman. On reprochera à cette grande
fresque, palpitante, passionnante, d'avoir phagocyté l'événement en le
concentrant sur les témoignages d'une poignée d'intellos parisiens
sachant exercer le ministère de la parole et occupant depuis des
positions visibles dans les médias, l'édition, la vie intellectuelle,
l'université, les partis politiques. « Génération », encore un mot qui
fera florès. Rotman ne le renie pas aujourd'hui : « En mai 68, une
génération, celle des baby-boomeurs, a pris conscience d'elle-même en
rencontrant un événement fondateur. Si Mai 68 hante encore, c'est parce
qu'il a été un de ces moments de transcendance, de croyance collective
où toute une société éprouve l'espoir de vivre autrement. »
« Nous sommes encore dans un vide bibliographique. Le trop-plein des essais et témoignages cache paradoxalement ce vide. »
De leur côté, les historiens travaillaient. Dès le 4 août 1989
était ouvert, à l'initiative de quelques-uns, dont Michelle
Zancarini-Fournel, le fonds d'archives privées Mémoires de 68, qui
donnera lieu à un Guide des sources d'une histoire à faire (2),
établi en 1993, avant le premier grand colloque universitaire sur 68
qui se tient en 1994 (3). Tout ce travail de collecte a permis de
mettre au jour des centaines de lieux, de collectifs, d'associations,
d'ateliers, qui furent des chantiers d'expérimentation ou de luttes
sociales un peu partout en France.
« Le Mai ouvrier n'a pas eu de lendemains mémoriels, remarque Bernard Pudal. Contrairement
au Front populaire ou à la Commune. On peut y voir la domination d'une
parole par celle, plus audible, des étudiants. Mais l'attitude des
syndicats y est pour beaucoup. La CGT a tout fait pour refuser
l'alliance entre étudiants et ouvriers. Et même s'ils ont été débordés
par leur base, notamment au moment des accords de Grenelle, les leaders
syndicaux demeuraient les interlocuteurs du pouvoir. Résultat : nous
sommes encore, sur 68, dans un vide bibliographique. Le trop-plein des
essais et témoignages cache paradoxalement ce vide. » Dès lors,
l'enjeu de ce quarantenaire pourrait bien être la restauration de cette
histoire sociale, provinciale, paysanne, ouvrière.
Tous s'accordent à dire que Mai 68 s'est achevé entre 1975 et 1980.
L'étude du passé n'échappe pas à la politique du présent, Mai 68 reste
un événement complexe et fortement symbolique dont on ne finit pas,
comme la Révolution française, de se disputer l'héritage. Tous
s'accordent à dire que Mai 68 s'est achevé entre 1975 et 1980 : choc
pétrolier, début du chômage de masse, publication de L'Archipel du Goulag, de
Soljenitsyne, qui met à mal toute défense du communisme, mort de
Sartre (1980), élection de Mitterrand en 1981 avec le slogan
soixante-huitard « Changer la vie ». Alors, que s'est-il
passé en 68 qui vaille encore qu'on lui règle son compte ? Les auteurs
de ces deux livres se gardent de conclure. Sauf à remarquer, comme
Boris Gobille et Bernard Pudal, que « toute crise, guerre ou
révolution fait bouger les lignes parce que des gens qui n'étaient pas
destinés à se rencontrer se parlent. En 68, les places assignées ont
été contestées. On l'a vu entre étudiants et ouvriers, mais aussi, dans
l'Eglise, entre prêtres et laïques, entre citadins et ruraux, hommes et
femmes. On a rêvé d'abattre les frontières des destins fixés. La
réaction, ce n'est pas dire "je ne veux voir qu'une tête", mais "soyez
divers, mais que chacun reste à sa place". Refermer une crise, c'est
refermer toutes les chances de mobilité et de métissage sociaux ».
(1) Dans “L'Empire des émotions, Les historiens dans la mêlée”, éd. Démopolis.
(2) Ed. Verdier.
(3) “Années 68, Le temps de la contestation”, éd. Complexe/IHTP.
A LIRE :
“68, Une histoire collective (1962-1981)”, sous la direction de Philippe Artières et Michelle Zancarini-Fournel, éd. La Découverte, 848 p., 28 EUR.
“Mai-Juin 68”, sous la direction de Dominique Damamme,
Boris Gobille, Frédérique Matonti, Bernard Pudal, Les éditions de
l'Atelier, 448 p., 27 EUR.
“Mai 68 raconté à ceux qui ne l'ont pas vécu”, éd. du Seuil, 168 p., 12 EUR.