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Le Blog de l'Esterel
1 juin 2009

"Oui, le Parlement européen dispose de réels pouvoirs"

  . Entretien avec un chercheur
Elections européennes
Thierry Chopin : “Il faudrait que les citoyens européens puissent peser sur les décisions”

                                    LE MONDE BOUGE - Oui, le Parlement européen dispose de réels pouvoirs, rappelle Thierry Chopin, chercheur europhile. Malheureusement méconnus. Pourquoi l'Europe ne fait-elle plus rêver ? Il nous l’explique dans un entretien.

Thierry Chopin - Jérôme Galland / Aleph pour Télérama

Ainsi donc, la messe est presque dite. Le 7 juin, l'abstention aux élections européennes devrait battre de nouveaux records. Les sondages sont unanimes, et les candidats les plus motivés, comme Alain Lamassoure, eurodéputé sortant UMP, constatent la difficulté à mobiliser pour un Parlement qui est pourtant « la plus importante institution au monde directement élue par les citoyens ». Un Parlement qui dispose aujourd'hui de pouvoirs majeurs, en matière budgétaire ou législative. Qui sait que le président de la Commission européenne est toujours de la même couleur politique que la majorité parlementaire ? Les sceptiques de l'Europe ont donc, par leur vote, le pouvoir d'influer sur la reconduction du très libéral José Manuel Barroso, actuel chef de l'exécutif européen. Alors comment expliquer que l'Europe ait tant de mal à nous passionner ? Comment susciter un intérêt politique pour ce scrutin ? Réponses avec Thierry Chopin, directeur des études à la très europhile Fondation Robert-Schuman et professeur au collège d'Europe à Bruges et à Sciences-Po.

Les sondages prévoient une participation plus faible que jamais. Comment l'expliquez-vous ?
La participation baisse depuis 1979, date de la première élection du Parlement européen au suffrage universel. La France n'est pas une exception : on y vote même plus qu'ailleurs : 45,17 % en 2004, contre 44,6 % en moyenne européenne. Le paradoxe, c'est que les citoyens auraient pu se désintéresser de l'Europe lors de la première phase de sa construction, quand le Parlement était un simple organe de consultation dont les membres n'étaient pas élus mais désignés par les Parlements des Etats membres. Mais à l'époque, les pays fondateurs, encore marqués par la mémoire du second conflit mondial, étaient profondément europhiles. Depuis l'arrivée de Gerhard Schröder au pouvoir en 1998, nous avons affaire à des dirigeants qui n'ont pas connu la guerre. Quel est le sens du projet européen pour cette nouvelle génération de politiques ? Question clé pour comprendre la faiblesse du leadership européen aujourd'hui.

Nos politiques sont en panne d'inspiration européenne ?
A de rares exceptions près, ils n'arrivent pas à mobiliser les citoyens sur un projet global. Ils préfèrent insister sur les résultats obtenus par les institutions, leurs actions, leurs décisions. C'est tout le discours sur « l'Europe concrète », « l'Europe des résultats », censé nous inciter à « aimer » l'Europe. Rappelez-vous les commentaires après l'échec du référendum en Irlande, en juin 2008 : on s'est étonné que les Irlandais aient pu voter non, compte tenu de tout ce que l'Union leur avait apporté en termes de transferts financiers. Mais percevoir des montagnes de subsides n'empêche pas de refuser telle ou telle réforme. Les agriculteurs français qui reçoivent de la PAC (Politique agricole commune) entre 8 et 10 milliards d'euros par an font souvent preuve d'ingratitude envers « l'Europe de Bruxelles » ! On touche là aux limites de la justification par les résultats concrets.

“La démocratie européenne a surtout besoin
d'une légitimité politique, donc d'un vrai débat
public, informé, transparent.”

Pourtant les « résultats », n'est-ce pas ce qui rend l'Europe moins éloignée des préoccupations des citoyens ?
Ils sont indispensables, surtout dans des démocraties d'opinion comme les nôtres. Mais insuffisants. La démocratie européenne a surtout besoin d'une légitimité politique, donc d'un vrai débat public, informé, transparent. Pour que les citoyens ne se contentent pas de valider des décisions, mais qu'ils aient leur mot à dire a priori et puissent peser sur les orientations. Il faut vraiment renouer le fil de la légitimité en injectant de la politique, de la conflictualité dans les instances de l'Union. Et le Parlement européen est une institution clé pour organiser ce débat !

Ce n'est pas l'image qu'il donne, monolithique, imperméable à l'expression des clivages politiques...
La compréhension des décisions y est plus compliquée que dans une assemblée régie par la simple logique majoritaire – comme en France, en Grande-Bretagne –, car les logiques politiques s'y entremêlent. La pratique du consensus, tout d'abord : le Parlement européen y a beaucoup recouru pour accroître ses pouvoirs face aux deux autres institutions communautaires, la Commission – l'exécutif européen – et le Conseil des ministres – qui réunit les représentants des Etats membres en fonction de l'ordre du jour des réunions. Les logiques nationales, ensuite. Prenons la fameuse directive « services », dite Bolkestein, qui favorise la libre circulation des services dans le marché intérieur. Le Parti socialiste européen a finalement voté en sa faveur, après qu'elle eut été remaniée sous l'impact du rapporteur socialiste, la députée allemande Evelyne Gebhardt. Mais les socialistes français se sont prononcés contre, pour des raisons strictement nationales.

Les lignes de fracture partisanes, enfin. Elles s'expriment de plus en plus nettement, en matière socio-économique mais aussi à propos de l'espace de « liberté-sécurité-justice ». Il y a eu, par exemple, un clivage très net entre gauche et droite lors du vote sur la directive « retour », qui vise à faire converger les conditions de retour des immigrés en situation irrégulière. S'il est parfois difficile à comprendre, le fonctionnement du Parlement – à l'inverse du Conseil des ministres où l'on négocie selon une logique diplomatique – est tout de même très transparent. Vous pouvez savoir qui a voté quoi en consultant le site Internet de l'institution.

“Pour les élections, il faudrait décrire les profils
des candidats : souhaitent-ils se faire
élire par réelle conviction
européenne ou par défaut ?”

A moins d'être un chercheur spécialisé, il est tout de même très compliqué de comprendre le travail des eurodéputés...
C'est l'un des écueils majeurs de ces élections européennes : s'y intéresser exige un effort. Et la fermeture de sites tels que parlorama.eu, qui notait les eurodéputés en fonction de leur présence aux sessions, ou précédemment europarliament.net, ne facilite pas la tâche (1). Ce type de censure alimente l'antiparlementarisme et la suspicion. Il y aurait pourtant beaucoup à faire pour rendre compte de l'activité des parlementaires ! S'intéresser à leur assiduité bien entendu, mais aussi à leur présence dans les commissions influentes, au nombre de rapports qu'ils produisent... Pour les élections, il faudrait aussi décrire les profils des candidats : souhaitent-ils se faire élire par réelle conviction européenne ou par défaut ? Les choisit-on parce qu'il s'agit de cadres méritants de tel parti, de recalés du suffrage universel en France, de membres du gouvernement qu'on veut écarter ? Une fois élus, cumuleront-ils leur mandat de député européen avec un autre mandat, comme c'est possible en France ?

Les parlementaires européens eux-mêmes restent étonnamment discrets sur leurs actions...
Peu font l'effort de rendre compte de leur travail. Ce serait d'autant plus indispensable qu'ils sont élus dans de grandes circonscriptions. Un parlementaire français au Parlement européen représente 800 000 habitants, huit fois plus qu'un député à l'Assemblée nationale ! Or, on a du mal à voter pour quelqu'un qu'on ne connaît pas et qui ne vous rendra pas de comptes... De plus, en France, nous sommes tributaires de notre culture politique, de la façon dont nous percevons notre propre Parlement, dévalorisé depuis cinquante ans face au pouvoir exécutif. Cette mauvaise image agit par ricochet sur celle du Parlement européen. Cela fait toute la différence avec l'Allemagne, l'Espagne ou la Grande-Bretagne, où les Parlements font partie du « code génétique ». Ce n'est pas un hasard s'ils ont les délégations nationales les mieux structurées. Les élus allemands, anglais et espagnols sont présents dans les groupes politiques qui comptent, font partie des commissions les plus influentes – économie, environnement, transports, protection des consommateurs...

La France se prive d'un vrai pouvoir ?
Bien sûr. Au fil des traités, le Parlement européen a vu ses pouvoirs s'accroître, notamment en matière budgétaire, mais on ne le sait toujours pas ! Si le traité de Lisbonne entrait en vigueur en novembre prochain, les députés pourraient même voter l'ensemble des dépenses avec le Conseil des ministres. Par ailleurs, il contrôle l'exécution du budget, donc l'utilisation des fonds communautaires. En 1999, la Commission européenne, alors dirigée par Jacques Santer, en a fait l'expérience : elle a été poussée à la démission après que le Parlement eut menacé de voter une motion de défiance pour mauvaise gestion. Dans l'histoire de la Ve République, quel gouvernement a dû démissionner à cause de la menace d'une censure de l'Assemblée nationale ? Son pouvoir législatif s'est aussi accru depuis le traité de Maastricht, il y a dix-sept ans : les eurodéputés votent, en codécision avec le conseil des ministres, directives et règlements en matière d'environnement, de protection des consommateurs, de transports... Il dispose enfin d'un pouvoir de contrôle politique, même si on n'en est pas encore à ce que permettrait le traité de Lisbonne, c'est-à-dire l'élection du président de la Commission européenne par le Parlement. Mais déjà, le président et les membres de la Commission n'entrent en fonction qu'une fois auditionnés par les députés qui donnent leur aval. En 2004, José Manuel Barroso a été contraint de remplacer deux de ses commissaires, dont l'Italien Rocco Boutiglione, qui avait tenu des propos homophobes et misogynes.

“Nos partis nationaux ne font pas leur boulot
et ont une fâcheuse tendance à européaniser
les échecs et nationaliser les succès.”

Pourtant, pour de nombreux électeurs, l'Europe, c'est davantage des pratiques de lobbying qu'une démocratie transparente...
En France, le lobbying passe moins bien qu'ailleurs. Là encore, cela tient à notre culture politique : nous plaçons l'intérêt général au-dessus des intérêts particuliers. L'Etat souverain monarchique, puis jacobin, puis républicain s'est construit comme garant de cet intérêt général. Ce qui a eu pour conséquence de délégitimer l'expression des intérêts particuliers et sectoriels, et donc de jeter l'opprobre sur le lobbying. Nos partenaires, notamment les Anglais, n'ont pas cette culture. Souvenez-vous de la campagne pour la candidature de Paris et Londres aux JO de 2012. A l'époque, la France s'est indignée que Tony Blair ait approché des membres du CIO ! A Strasbourg et à Bruxelles, certains pays sont plus influents parce que plus à l'aise avec la défense des intérêts particuliers. A contrario, notre stratégie s'est longtemps résumée à la défense du siège du Parlement à Strasbourg et à celle de la langue française : nous privilégions le rang, le prestige, au détriment de stratégies d'influence plus concrètes. Pourtant, y compris le 7 juin, nous sommes face à des enjeux d'influence nationale.

Un sursaut des électeurs français vous semble-t-il possible ?
Il faudrait pour cela que le débat ne se situe plus entre pro ou antieuropéens, mais mette en évidence les grands enjeux qui agitent le Parlement européen : par exemple, veut-on plus ou moins de régulation du marché ? Les clivages idéologiques existent bien entre les différents partis. Simplement, ils ne sont pas suffisamment visibles en France. Nos partis nationaux ne font pas leur boulot et ont une fâcheuse tendance à européaniser les échecs et nationaliser les succès. Résultat, alors que la campagne devrait battre son plein, il n'y a aucune offre de la part de nos hommes politiques, sauf du côté de la liste écologiste menée par Daniel Cohn-Bendit et Eva Joly, la seule à mener une campagne réellement européenne. Il y a pourtant des Européens convaincus dans les autres partis. Mais ils peinent à faire entendre leur voix.

Propos recueillis par Weronika Zarachowicz
Télérama n° 3098

(1) L'Université libre de Bruxelles et la London School of Economics ont lancé votewatch.eu, qui offre (en anglais) toutes les informations sur la présence des députés, leurs votes, les alliances...


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